« Rebondir» sur le télétravail comme une opportunité pour l’entreprise – Parole à Tarik Chakor

6 juillet 2020

« Rebondir» sur le télétravail comme une opportunité pour l’entreprise

En quoi et comment cette crise nous pousse à repenser nos modes (modèles) de management ?

Chaque crise présente autant de menaces que d’opportunités, et offre la possibilité de repenser ses pratiques, même les plus anciennes. Les modes et pratiques de management n’y échappent pas : est-ce qu’un management de contrôle, vertical, voire autoritaire, est encore d’actualité ? Est-ce que cette période de télétravail forcé et subi peut être une chance pour sortir de la culture de la présence et du contrôle physiques ? Peut-être que le management va progressivement laisser de la place à la confiance, à l’accompagnement et à la co-construction… l’avenir nous le dira !

 

D’un point stratégique, comment cette nouvelle forme d’organisation (le télétravail) peut-elle être une opportunité pour l’entreprise ? Quels en sont les points d’appuis et les limites ?

Le télétravail présente de nombreux atouts pour les entreprises : d’un point de vue très factuel, il permet de réduire le coût immobilier, du fait d’un effectif physiquement présent moindre. Il permet également de disposer de collaborateurs potentiellement moins stressés voire plus productifs, du fait du temps en moins passé dans les transports et d’une certaine forme d’optimisation de la journée de travail… optimisation qui n’est pas sans risque ! L’une des limites peut justement être une charge de travail accrue, du fait de temps de pause réduits à peau de chagrin, notamment l’absence de pauses-déjeuner. Une autre limite est le risque de floutage, ou de « blurring« , entre sphères professionnelle et privée, la première prenant petit à petit le pas sur la seconde. D’où l’importance de bien compartimenter, voire imperméabiliser, autant que possible ces deux mondes.

 

 

A quel usage et besoins de l’organisation le télétravail permet-il de répondre ? 

S’il est correctement mis en place, le télétravail constitue un formidable outil de flexibilité et d’adaptation, éléments décisifs dans un monde concurrentiel de plus en plus évolutif. Plus globalement, la mobilisation et l’usage des TIC est un excellent moyen de « travailler en temps réel », en s’affranchissant, du moins en partie, des contraintes horaires et/ou physiques du travail (bureaux fermés etc.). Le télétravail peut ainsi permettre de réduire les délais de réponse, d’augmenter la réactivité de l’entreprise, ce qui est loin d’être négligeable de nos jours. Il faut toutefois garder à l’esprit que tous les métiers ne sont pas « télétravaillables », et que cette forme d’organisation est loin d’être la panacée…  

 

Quelles sont les modalités organisationnelles à ajuster ? Quelles sont les conditions nécessaires pour un télétravail de qualité ?  

La période de télétravail que nous venons de vivre n’est pas réellement représentative de ce que « doit » être le télétravail : comme je le disais, il s’agissait ces derniers mois d’un télétravail essentiellement subi, forcé et souvent improvisé, mesures sanitaires d’urgence obligent. Le télétravail doit être pensé, réfléchi et négocié, c’est-à-dire le fruit d’une discussion entre les différentes parties prenantes. Il doit être adapté aux caractéristiques spécifiques du travail et du télétravailleur, puis mis en place progressivement, dans le cadre d’une charte ou d’un accord. Ce « télétravail négocié » doit ainsi clairement poser le cadre à respecter, les horaires, les temps de disponibilité, les modalités de communication, les outils etc. À un niveau plus managérial, les critères d’évaluation, de suivi et de contrôle doivent également être négociés et partagés, afin notamment de prévenir certaines incompréhensions ou dysfonctionnements (notamment quand cela aboutit à des sanctions disciplinaires). Enfin, l’espace de travail du  télétravailleur doit être, autant que possible, dédié, isolé et ergonomique, ce qui est parfois loin d’être évident…

 

Comment faire pour que le télétravail soit source d’équité/d’égalité professionnelle ?

Je n’ai malheureusement pas la réponse… Plusieurs études ont montré qu’il existait des inégalités réelles face au télétravail, selon que l’on soit jeune parent ou non, femme ou homme, résident d’une zone blanche pas ou peu desservie par un réseau de télécommunication etc. Hormis une négociation en amont et une adaptation aux spécificités du télétravailleur, de ses conditions de télétravail etc. les marges de manœuvre semblent limitées. Les problématiques de respect de la vie privée et de non-discrimination peuvent, paradoxalement, constituer des difficultés supplémentaires dans la promotion d’une équité ou d’une égalité professionnelle autour du télétravail.

 

Comment adopter une approche organisationnelle, collective et coopérative ?

La négociation doit être au cœur du dispositif, le télétravail devant être co-construit : l’idée d’un télétravail « imposé par le haut » peut être source de problèmes et de dysfonctionnements, tels que je l’ai cité avec les phénomènes de flou, de surcharge de travail etc. L’idée, comme souvent lorsque l’on traite de la question de l’organisation du travail et de la santé des salariés, est de favoriser la discussion autour de l’activité en télétravail, de mettre à jour ses éventuelles difficultés, contradictions ou incohérences. Les mentalités doivent également évoluer, notamment du côté des encadrants : peut-être que cette période inédite de télétravail forcé permettra d’accorder plus de confiance aux salariés et de sortir de cette « culture du présentiel ».

 

Comment intégrer un processus d’amélioration continue du télétravail ?

Le risque serait, d’une part, de penser que le télétravail peut être solution à tous les problèmes, et, d’autre part, de vouloir trop « rationaliser » sa mise en place. Concernant le premier risque, le télétravail ne peut constituer une forme exclusive d’organisation du travail. Les individus ont besoin de se voir, d’échanger de manière formelle et informelle, de se sentir appartenir à un collectif de travail, ce que les échanges en visio ne permettent pas, surtout à partir de quelques mois de « distanciation physique ». Le second risque est celui pouvant menacer les démarches d’amélioration : penser l’outil avant la réalité du (télé)travail, mettre en place des processus potentiellement déconnectés du travail réel etc. Ici, le manager, au premier rang desquels le manager de proximité, a un rôle central dans l’analyse, la réflexion et la mise en place d’un télétravail négocié, adapté et adaptatif, englobant ses conditions de réalisation, de communication, de contrôle et de suivi, sans oublier les dimensions ergonomiques et santé, pour un télétravail de qualité.

 

Par Tarik Chakor – Maître de conférences en sciences de gestion IREGE – USMB

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