« Rebondir» sur le télétravail comme une opportunité pour l’entreprise – Parole à Laure Rosenstiel et Stéphanie Rousset

10 juillet 2020

« Rebondir» sur le télétravail comme une opportunité pour l’entreprise

 

En quoi et comment cette crise nous pousse à repenser nos modes (modèles) de management ?

Le télétravail confiné a été du 100% domicile et cette expérience a été vécue, généralisée ; des freins ont sauté. Rien n’était prêt (même pour les entreprises qui avaient négocié des accords sur le télétravail), ce qui a amené les personnes à prendre des initiatives, à s’engager, à décider. Les entreprises aujourd’hui, doivent faire avec le fait que les salariés, d’une façon ou d’une autre, se sont emparés de cette nouvelle pratique et ont fait preuve d’agilité. Elles doivent faire aussi avec les vécus différents pendant la crise, pour que chacun se sente ré intégré dans le collectif, même à distance. Les managers de proximité, à distance eux aussi, vont voir se généraliser cette façon d’être et de travailler avec les équipes : comment mettre et développer de la proximité avec la distance ? Ce maillon, qui « tiendra » l’alternance présentiel-distanciel va revenir au 1er plan, sous d’autres formes.

Finalement, c’est le savoir-faire d’INCLURE et de DECLURE qui est en jeu ici, appliqué au télétravail en tant qu’alternance avec le présentiel. La crise de la Covid 19 est un accélérateur qui préfigurera les leviers du management de demain.

 

D’un point stratégique, comment cette nouvelle forme d’organisation (le télétravail) peut-elle être une opportunité pour l’entreprise ? Quels en sont les points d’appuis et les limites ?

Cette nouvelle forme d’organisation ré-interroge la dynamique collective : gestion dans le temps, problématiques de locaux, renouvellement du rôle des managers… C’est la question du SENS des différents moments et lieux du travail qui est posée. Le Télétravail mobilisé exclusivement en tant qu’«outil» pourrait conduire à une individualisation du travail (à une forme de sous-traitance), où chacun, chez soi, serait isolé des autres. Ce serait la perte du collectif, alors qu’il est richesse et que notre monde interconnecté en a besoin. Au niveau stratégique, le Télétravail doit être pensé, dans le projet d’entreprise, comme une nouvelle forme de travail, AVEC UNE DYNAMIQUE COLLECTIVE. Alors seulement, les questions portant sur quoi faire des m², quelles modalités de communication intra/inter sites, quelle gestion des disponibilités absences… pourront être posées sainement. Le Télétravail, comme les Open-Space, sont des outils qui ne peuvent être dissociés d’une démarche, d’une volonté, d’un projet.

 

A quel usage et besoins de l’organisation le télétravail permet-il de répondre ? 

Le télétravail étant pour nous une vraie modalité de travail qui s’inscrit dans un projet d’entreprise, il doit faire l’objet d’une reconnaissance à part entière ; il n’est pas le pis-aller d’une organisation défaillante. D’ailleurs le Télétravail, ce n’est pas du travail à Domicile.  Et on doit se demander au service de quoi il est mis en place.  Une fois le sens de cette modalité de travail définit collectivement, le processus puis le contenu peuvent être à leur tour définis. Le télétravail peut alors ouvrir une perspective en matière de RSE pour les différents usages repérés qui pourraient être par exemple : du travail de fond, de l’innovation intellectuelle, de la veille, des dépannages, des formations…

 

Quelles sont les modalités organisationnelles à ajuster ?

Pour nous, les modalités organisationnelles à ajuster en priorité sont celles des échanges avec les équipes, l’ensemble de parties prenantes. Co-définir avec elles le CADRE et surtout la raison d’être, le sens du Télétravail dans l’entreprise est premier. Ce dialogue sur le travail entre Direction, équipes et partenaires sociaux est en soi une nouvelle façon de travailler ensemble. Cela demande de la part de chaque partie un positionnement différent ; c’est la mise en pratique d’un dialogue social élargi et coopératif. Ce dialogue sur le travail peut porter sur la Valeur Ajoutée du présentiel et du distanciel, sur l’exercice du contrôle et de l’évaluation, sur une articulation de qualité entre l’individuel et le collectif… avant d’ouvrir une négociation sur les modalités, l’organisation…

 

Quelles sont les conditions nécessaires pour un télétravail de qualité ?

Il y a les conditions qui portent sur le « quoi faire ? », c’est la dimension opérationnelle, et il y a les conditions qui portent sur « l’esprit dans lequel faire ? », qui est incontournable et reprend la question du sens.

Se demander d’abord : « le Télétravail quel sens est-ce que cela a ? Pourquoi le fait-on ? » permet au télétravail d’exister en tant qu’activité à part entière, et non en tant qu’activité déportée au domicile.

Ensuite, les modalités peuvent être abordées. 

Nous proposons donc les conditions suivantes :  

  1. Fixer le cadre du télétravail (le sens et l’esprit général : base du volontariat, nombre d’heures max pour un bon contrat relationnel, place du collectif à distance, …)
  2. Identifier les activités télétravaillables et celles qui ne le sont pas
  3. S’assurer des compétences des personnes en charge de ces activités, pour les réaliser en mode distanciel
  4. Disposer d’outils numériques adaptés, avec une connexion stable
  5. Organiser le poste de travail à domicile et la bonne articulation des temps (vie pro/perso)
  6. Former et accompagner les managers au management de proximité à distance (!)
  7. Organiser et réguler la charge de travail
  8. Organiser le fonctionnement en équipe et assurer la cohésion entre les membres
  9. Tenir compte des besoins et des désirs

 

Comment faire pour que le télétravail soit source d’équité/d’égalité professionnelle ?

Le droit ne protège de rien, ni concernant la déconnexion, ni concernant l’équilibre vie pro/perso. La reconnaissance du Télétravail comme forme de travail à part entière doit permettre de dire comment cette reconnaissance s’exprime, comment évaluer les managers et dans quelle mesure une OUVERTURE et une inter-pénétration pro/perso est acceptable pour les parties. Cela passe certainement par une connaissance plus en profondeur des situations des uns et des autres ; un maillage nécessaire et suffisant entre individus et collectivités pourra être envisagé. L’équité, c’est à-dire la réponse aux besoins, pourra prendre alors différentes formes selon le contexte de chaque entreprise (rural/ urbain…) et le collectif sera en mesure de proposer des initiatives, des tests, des options, bref de faire preuve de créativité pour envisager ensemble une ALTERNANCE présentiel-distanciel équitable. Cela pourrait aller jusqu’à transformer le paysage local : crèches, commerces locaux, importation de services vers l’entreprise, maillage avec le local… 

 

Comment adopter une approche organisationnelle, collective et coopérative ?

Nous l’avons pointé à plusieurs reprises, c’est le PROJET avant toute chose, avec TOUTES LES PARTIES PRENANTES qui permet de travailler sur les attentes dans des contextes donnés. L’agilité peut s’exercer ensuite : tester/  ajuster/benchmarker/ tester/ capitaliser/ tester…

 

Comment intégrer un processus d’amélioration continue du télétravail ?

Pour nous, c’est la pratique du Retour d’Expérience et de la Capitalisation qui permet de s’inscrire dans une démarche d’Amélioration Continue : un REX portant à la fois sur l’expérience vécue, sur ce qui a été fait et sur la façon dont cela a été fait/ vécu. 

  • Expérimenter
  • Evaluer résultats, avancées, vécus, impressions, émotions…
  • Ajuster, modifier
  • Expérimenter

Avec la crise de la Covid 19 nous pouvons dire qu’on a « su faire ». Les entreprises peuvent s’emparer ensemble de ce « savoir-faire », en faire une matière vivante dans un dialogue pluridisciplinaire. Cela constituerait un chemin vers une évolution en continue, à partir de ce point de transformation, car de rupture dans les pratiques : celui de considérer que chacun, avec les autres, peut penser et agir.

 

Stéphanie ROUSSET, 

Coach et formatrice en transformation du travail et en innovation managériale – ACTIM Conseil

Enseignant chercheure en ergonomie à l’Université de Clermont Auvergne

& Laure ROSENSTIEL,

Consultante, coach & médiateure en entreprise – ALBATRA

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