Faire perdurer et pérenniser l’agilité organisationnelle – Parole à Jérôme BERTIN

24 juillet 2020

Faire perdurer et pérenniser l’agilité organisationnelle

Quelle nouvelle conciliation entre développement  économique (fluctuation du marché, trésorerie) et développement de l’emploi ?  

Difficile de répondre à cette question ! D’abord parce que ce n’est vraiment qu’à l’automne que nous connaitrons les impacts emploi de la crise sanitaire au global. Ensuite parce les impacts ont été différents selon les secteurs, les types d’activité, l’internationalisation des marchés et les métiers qui autorisent plus ou moins le recours au télétravail.

Si les prévisions envisagent au national un impact dur avec un fort ajustement des ressources aux dynamiques des marchés, apparaissent ici ou là différentes expériences d’entreprises qui révèlent des stratégies plus ou moins positives. 

Certaines entreprises ont profité de la crise pour revoir leurs stratégies de développement. Apparaissent des expériences de croissance externe, des politiques de rachat, des repositionnements produits et services qui permettent a minima la conservation, voire le développement de l’emploi. 

Ce sont pour la plupart des entreprises aux marchés « captifs » et de proximité. Ce sont aussi des entreprises qui possédaient une trésorerie saine et qui ont su mettre en place des organisations de travail qui ont toutes visé la conservation de ces avantages compétitifs (télétravail plus ou moins généralisé, maintien d’un minimum d’activité présentielle sécure, recours au chômage partiel, etc.). Une première caractéristique est néanmoins qu’elles ont réduit, et parfois totalement supprimé, leur recours à l’intérim. Une seconde caractéristique est leur qualité de management et de dialogue social qui a permis de maintenir un cap plus ou moins dégradé mais rapidement réactivable.

Toutefois, on voit que quelques secteurs envisagent un impact positif de la crise en terme d’emploi – pour beaucoup des entreprises IT, de services à la personne ou de commerce de premiers besoins et leurs partenaires (transports et logistiques). Ces entreprises devront alors faire face à trois contraintes : maintenir des organisations de travail respectant la sécurité sanitaire de tous (employés, clients et bénéficiaires) ; poursuivre leur qualité de dialogue de travail en période de reprise ; renforcer leur attractivité et leur offre d’évolution professionnelle pour gérer les difficultés de recrutement qui perdureront et se feront sans doute plus fortes à mesure que le marché de l’emploi se dégradera.

 

En quoi les expériences Covid ont- elles permis de faire émerger des modalités organisationnelles à la fois plus sobres, plus coopératives et plus participatives (moins hiérarchiques, plus fluides, plus efficientes) ?

Tout d’abord, on constate que la crise sanitaire est par essence une crise de sociabilité : quand l’autre est vécu comme un danger potentiel pour tous, seules les entreprises à haut degré de confiance et de dialogue, à forte maturité managériale, à pratiques RH soucieuses d’équilibre entre social et performance – seules ces entreprises peuvent mettre en place et ajuster au jour le jour leurs organisations pour s’adapter et perdurer de façon sécure. Il ne s’agit pas forcément de grands groupes, aux organisations sophistiquées et aux moyens importants. Il s’agit de PME/TPE en prise avec la réalité du travail au quotidien, ayant des liens fournisseurs/sous-traitants sains et possédant une situation financière stable bien avant la crise.

Ceci dit, la crise a obligé les entreprises à s’adapter, à discuter de ce qu’il était possible de faire ou pas – à sortir d’une logique trop répandue de pilotage par les tableaux de bord. Comme Pierre-Yves Gomez l’a montré dans ces travaux, la financiarisation de l’économie et le développement de certains outils de la performance ont éloigné les managers de l’activité réelle et de la nécessaire concertation avec les équipes. Avec la crise sanitaire, il a fallu revenir aux basiques : que pouvons-nous faire, que maintenir comme activité et à quelles conditions ? Il a fallu renouer le dialogue entre toutes les parties prenantes de l’entreprise, et pas juste le client ou l’actionnaire. De fait, ce n’est pas seulement le réel qui s’est réintroduit dans les organisations, c’est aussi la capacité des hommes et des femmes à créer du lien malgré toutes les barrières sanitaires et la dégradation des marchés.

Mettre en place la prévention, recourir au chômage partiel ou au télétravail, gérer l’apparente inégalité sanitaire entre ceux qui travaillent sur site ou télétravaillent chez eux, s’adapter aux clients – tout cela a réclamé un renouvellement des pratiques de coopération et a permis aux entreprises qui ont passé ce cap d’améliorer leur capacité d’adaptation collective, de dialogue et de contractualisation autour du travail.

Cette souplesse presque imposée a ouvert des agilités parfois surprenantes pour les entreprises elles-mêmes. Pas mal de PME qui ont découvert à cette occasion que le télétravail était non seulement possible, mais productif au-delà de toute espérance : certains collaborateurs se sont même avérés tellement autonomes et impliqués, certaines équipes ont su trouver des  fonctionnement si performants que leurs managers ont dû mettre le holà pour gérer l’augmentation paradoxale de la charge et ne pas dégrader leur qualité de vie au travail.

 

En quoi les prises de décision/arbitrage ont-ils permis d’être plus au rendez-vous de la qualité du service rendu et notamment dans sa dimension relationnelle ?  

En fait, il a fallu s’entendre sur les types d’activités à maintenir, à ajuster, à développer pour assurer le minimum, voire plus. Il me semble que cette entente a eu plusieurs originalités : d’abord, elles ne s’est pas faite qu’avec les clients ou les collaborateurs, mas elle a dû plus encore s’organiser à l’interface des besoins et contraintes entre clients, équipes et individus ; ensuite elle a généré des organisations extrêmement labiles et adaptatives en fonction du marché et des ressources humaines disponibles ; enfin, puisqu’il s’agit de respect de la vie, elle paraît s’être opérée avec une réelle bienveillance, une réelle solidarité, un souci de l’autre qui s’est infusé partout. Cela paraît angélique, mais je crois que l’ensemble des acteurs s’est vraiment mobilisé à la fois par rationalité (l’enjeu était la survie économique) et par humanité (un autre sens vital était au cœur des options discutées dans chaque entreprise).

Pour autant, là encore, ce sont les entreprises qui possédaient avant CoVid une forte pratique de dialogue avec toutes leurs parties prenantes qui ont su mobiliser avec efficacité et innovation l’ensemble de leurs partenaires. 

La qualité de dialogue pour assurer la qualité du service en prenant en considération les enjeux de tous, jusque dans l’atelier, ne s’improvise pas du jour au lendemain. Il y a trop de contraintes à prendre en compte pour ça : la production, la performance, les conditions de travail. 

Certaines PME se sont juste contentées de bénéficier des aides gouvernementales ; on voit qu’elles ont du mal à repartir, à mobiliser leurs troupes pour répondre aux clients. Il leur manque une pratique de dialogue pour affronter la complexité de la situation. Ce manque révèle en fait un manque de sens. La crise a réaffirmé cela : travailler pour de l’argent ne fait pas la qualité, au cœur de toute activité il y a aussi le sens (un geste professionnel, une qualité d’équipe, un management qui permet d’aller plus loin, d’innover tout en préservant ses collaborateurs, etc.).

Si j’osais, j’inverserai presque l’adage : si tu veux (gagner) la guerre (économique), prépare la paix !

 

Comment renforcer les solidarités pour maintenir des parcours d’emploi innovants (en inter-entreprises, sur un territoire, diversification/reconversion..) ?

Nous risquons de connaître une situation paradoxale : un fort chômage, avec des difficultés de recrutement accrues. L’attractivité de l’entreprise sera donc un enjeu prioritaire. Certes, pendant un long moment, les questions sanitaires et les conditions de travail seront encore au cœur des préoccupations. Mais au-delà de ça les entreprises devront proposer, là encore, du sens : les enjeux de parcours professionnels ascendants prendront plus d’importance encore. 

Certaines solutions existent déjà : temps partagés, prêts de personnels, actions de formation sur les lieux de travail (AFEST), pratiques d’insertion. Pour les déployer, il faudra que les PME développent plus encore leur ancrage territorial, qu’elles intègrent plus des clubs et réseaux d’entreprises pour renforcer les solidarités en confiance, qu’elles se rapprochent des acteurs de l’emploi et de la formation et que ces acteurs poursuivent les efforts engagés d’adaptation à la culture de l’entreprise. Tout cela sera rendu plus complexe du fait des risques sanitaires. 

Les institutions (Etat et Région), les organismes professionnels (branches, syndicats, etc.), devront adapter et renforcer leur action de proximité pour aider les entreprises dans cette direction.

Nous nous devons d’inventer une nouvelle politique publique de proximité, en favorisant les partenariats publics-privés qui ne pèsent pas sur les TPE et qui associent institutions, organismes professionnels, acteurs de l’économie de l’emploi et de la santé. 

Elence, par exemple, me semble aller dans la bonne direction. Ce programme doit intégrer les questions d’emploi et de formation dans sa palette d’actions. 

 

Jérôme BERTIN, Responsable Développement et Innovation chez Aract Auvergne-Rhône-Alpes

Membre actif du COTEC Elence

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