25 janvier 2019
Élence favorise une montée en conscience sur la posture et les jeux d’acteurs. Ce travail sur la posture en équipe interroge également les consultants -qui accompagnent les entreprises- dans leur juste place.
C’est ce regard que nous propose Stéphanie Rousset avec ce retour d’expériences. Elle analyse les facteurs de réussite, les fragilités et les conditions de la pérennité d’un tel projet.
Le projet ÉLENCE poursuit l’objectif d’accompagner les entreprises vers la performance globale en situant les jeux d’acteurs dans des logiques de fonctionnement en équipe tournées vers l’accroissement de leur maturité, pour avancer ainsi sur le chemin d’une équipe performante.
Dans la panoplie des outils et méthodes du consultant en charge de l’accompagnement de l’entreprise, il y a le levier de la création d’espaces de dialogue sur le travail et le fonctionnement en équipe. Ces espaces de dialogue permettent de construire des conditions favorables pour amener une équipe à travailler sur les leviers de sa performance. Ces espaces de dialogue sont les lieux et temps de partage des expériences vécues.
Considérant, le consultant à la fois comme un sujet et un objet de sa pratique, l’hypothèse est ici d’observer comment le consultant qui accompagne l’entreprise participe lui aussi à un travail d’équipe, lorsqu’il intègre un espace de discussion en devenant membre d’un groupe de pairs. Le groupe de pairs est entendu comme l’ensemble des consultants Élence.
Il peut être particulièrement ajusté de questionner alors la pratique du consultant sur le processus de dialogue avec ses propres pairs sur ses pratiques, de la même façon que les acteurs de l’entreprise le font dans un groupe de travail, une équipe. Nous pourrons ici positionner des éléments de réflexion en parallèle entre le groupe de consultants et le groupe de travail en entreprise.
Posons une approche autour de la question de la réflexivité (M.Recopé et alii, avril 2014 ; M.Durand, 2013) pour évaluer la capacité du consultant à s’appliquer pour lui-même ce qu’il préconise en entreprise à partir des apprentissages de son expérience vécue. L’ambition est à la fois de tester les outils et méthodes, pour dégager des éventuels éléments de prospectives à destination des méthodes d’accompagnement des entreprises engagées dans Élence. Cela pourra conduire aussi à identifier le potentiel de résistance à la critique de la méthodologie Élence.
Faisons tout d’abord le point sur les éléments factuels qui peuvent être mis en liens entre la pratique des consultants et la pratique du groupe de travail en entreprise :
Cette première analyse réflexive qui pourrait être apportée sur la base de 2 ans de fonctionnement de ce groupe de pairs et d’accompagnement par le tuteur / référent au sein d’Élence permet d’avancer une évaluation des résultats en deux volets. Le premier renvoie aux facteurs de réussite et le second aux fragilités ou limites de ce fonctionnement. Dans ces deux volets, nous pouvons commencer à établir des liens avec les apprentissages et expériences vécues entre le groupe de pairs des consultants et les groupes de travail dans les entreprises engagées dans Élence.
Tout d’abord, observons les facteurs de réussite. Ils sont liés à 3 dimensions clés qui font sens et réunissent les consultants dans une communauté d’acteurs engagés.
La première est celle du projet Élence qui porte des valeurs, un objectif et une approche dans lesquels l’ensemble des consultants se rejoignent. Le projet est fondateur de la raison d’être du groupe de pairs, comme le projet d’entreprise qui légitime la constitution du ou des groupes de travail, des équipes.
Ensuite vient la question de la formation qui a été dispensée dès le départ de l’action pour consolider un socle commun de connaissances et de référentiels partagés entre les consultants. Ce processus de formation interactif avec mises en situation a permis de faire germer une culture commune, au-delà des différences de parcours et d’expériences des uns et des autres. Il se pose en entreprise également cette question de disposer d’un référentiel commun pour renforcer le groupe de travail ou l’équipe.
Enfin, le troisième ingrédient de réussite est lié à la posture développée par les consultants. Le travail en groupe de pairs, comme les échanges avec le tuteur / référent nécessitent une posture d’ouverture et d’alliance entre consultants – qui sont d’ailleurs potentiellement en situation de concurrence sur le marché hors Élence. L’écoute, l’acceptation de la remise en cause, une posture humble d’apprenant, ainsi que la formulation de préconisations sans jugement et dans le respect, de la part des pairs, ont permis de développer une qualité relationnelle et une bienveillance entre les consultants. L’exigence de l’entreprise engagée dans Élence est une dimension portée par tous, qui rassemble les consultants et justifie une dynamique de progrès continu dans la pratique des consultants. N’y aurait-il pas ici des facteurs de réussite interpellant également pour un groupe de travail en entreprise avec Élence?
Par ailleurs, analysons les éléments qui questionnent aujourd’hui le groupe de pairs des consultants, à travers la mise en évidence de sources de fragilités dans cet espace de dialogue sur le travail et de compagnonnage entre les consultants. Elles résideraient selon nous dans trois dimensions en lien avec le projet Élence lui-même.
Tout d’abord, c’est un processus long, qui nécessite du temps pour se mettre en place, pour que les consultants se connaissent et disposent de suffisamment de liens pour construire la confiance. Ici, il a fallu 2 ans pour arriver à une certaine maturité pour pouvoir concrètement « faire équipe » dans le groupe de consultants. Comment peut-on gérer le besoin d’un temps long en entreprise pour constituer un groupe de travail productif ?
Ensuite, il peut se poser la question de l’intégration de nouveaux consultants, dans le cadre du déploiement Élence. Des consultants qui n’auraient pas connu le lancement et la période fondatrice du projet. Quelles seraient les conditions d’une bonne intégration ? Quel accès à l’histoire commune fondatrice ? À quelles conditions et comment entrer dans la dynamique sans en avoir éprouvé les étapes ? Quelles actions pour poursuivre la démarche vers l’avenir et renouveler en continu celle culture commune qui fait sens et « cimente » les rapports inter individuels ? En entreprise, cela pose également cette question de l’intégration de nouveaux acteurs dans des démarches existantes ? Comment les processus survivent-ils à leurs créateurs ?
Enfin, la qualité du fonctionnement d’un groupe de pairs repose sur la gratuité dans l’échange et l’équité entre ses membres. C’est la question du don contre don : « je donne et je reçois d’un autre qui donne ». Ce mouvement est vertueux et sain en ce sens qu’il contient les germes de son évolution et de sa croissance. Ceci ouvre un questionnement sur le passage en « vitesse de croisière » après toute l’étape de construction des 2 ans passés. Comment faire en sorte que les membres du groupe de pairs, autrement dit les consultants ici, soient tour à tour bénéficiaires et donateurs, de manière équilibrée pour garantir la qualité durable de l’engagement de chacun ? N’y a-t-il là encore une transposition possible sur les fragilités et limites inhérentes à la vie de tout groupe de travail en entreprise ? avec un questionnement à la base sur les raisons d’être de l’engagement dans le processus collectif.
Ainsi, nous pouvons faire l’hypothèse que ces éléments d’analyse réflexive du groupe de pairs des consultants sont significativement interpellant sur ce qui peut se vivre également en entreprise dans le cadre des groupes de travail Élence.
Les facteurs de réussite identifiés avec les consultants autour du projet et du sens, du socle et référentiel commun dans l’entreprise, comme celui de la posture des acteurs peuvent être déterminants aussi dans les démarches des entreprises. De même les fragilités et limites identifiées pour les consultants touchent la question de la pérennité d’un fonctionnement en groupe de pairs de consultants, comme d’une équipe ou d’un groupe de travail en entreprise. En définitive, les retours d’expérience du groupe de consultants pourraient être débattus et transposés, le cas échéant, à l’échelle de la dynamique d’équipe en entreprise avec Élence. Ce processus pourrait éclairer une prospective croisée d’apprentissage vers l’équipe performante, que ce soit celle du groupe de pairs de consultants ou du groupe de travail en entreprise.
Pour aller plus loin, il semblerait intéressant de questionner en retour, dans une démarche de réflexivité, et d’évaluation à 360 degrés, les pratiques des groupes de travail des entreprises Élence. Et par la même, quels seraient les éventuels éléments qui pourraient être transposés de la pratique des entreprises vers le groupe de consultants ?
Ceci permettrait alors d’avancer sur les conditions de pérennité et de développement d’une équipe performante, que cette équipe soit celle de l’entreprise engagée dans un processus Élence ou bien celle des consultants, qui les accompagnent en s’appliquant à eux-mêmes les principes de l’équipe performante autour du dialogue sur le travail. Une perspective critique et constructive en vue du déploiement de la méthodologie Élence serait ouverte et contribuerait à soutenir les démarches des entreprises dans la durée.
Synthèse pour le chantier A2 – Élence – Stéphanie Rousset, septembre 2018
Michel Récopé, Géraldine Rix-Lièvre, Hélène Fache, Simon Boyer. La sensibilité à, organisatrice de l’expérience vécue. L. Albarello; J.-M. Barbier; E. Bourgeois, avril 2014, in ALBARELLO Luc, BARBIER Jean-Marie, BOURGEOIS Etienne, DURAND Marc (Dir.), 2013, Expérience, Activité, Apprentissage (111-133). PUF, Coll. Formation et Pratiques Professionnelles.
Illustration Emmanuel Certain