Bien-être et innovation : quels liens ?

14 septembre 2020

Quels sont les liens entre l’innovation d’une part, forme de « destruction créatrice » et le bien-être d’autre part, que nous définissons comme une évaluation positive de sa vie ? Peu de travaux se sont intéressés aux liens entre les deux[1]. Sans prétendre donner des réponses abruptes, tentons de dégager quelques pistes de réflexion.

 

Pour tenter de démêler les effets entre bien-être et innovation, il peut être tentant d’observer les classements des pays les plus innovants et les plus heureux. Les croiser offre un constat étonnant : cinq pays occupent le « top ten » des deux classements : (Suisse, Pays-Bas, Finlande, Danemark et Suède). À première vue, il semblerait que l’innovation et le bien-être fleurissent dans des pays européens, riches, à dominante protestante. Mais peut-on dépasser ce constat simpliste et tenter de comprendre les mécanismes sous-jacents ?

Pour comprendre l’influence de l’innovation sur le bien-être, il convient de rapidement observer son évolution. Longtemps associée au productivisme et aux améliorations technologiques, l’innovation était souvent mesurée par le nombre de publications scientifiques et de brevets déposés. L’influence grandissante des sciences du marketing, des humanités, de l’art et du design a fait exploser le carcan techniciste qui entourait l’innovation jusqu’alors et a poussé acteurs et observateurs de l’innovation à ajouter une dimension immatérielle à la dimension matérielle qui primait jusqu’alors.

Les innovations d’Apple, du luxe ou des industries créatives sont moins d’ordre purement techniques que représentatives, symboliques, imaginaires. Dans la sphère non immédiatement commerciale, on observe des innovations d’usage par le truchement des vidéos, des tutoriels, de la communication foisonnante des réseaux sociaux, c’est une innovation sociale. Elle jaillit dans toutes les strates de la société pour permettre de répondre aux enjeux institutionnels, sociaux et environnementaux. Dans un rapport récent pour le gouvernement suisse, nous parlions d’innovations technoproductive, culturelle et sociale[1]. Si les liens entre les deux premiers types d’innovation et le bien-être n’ont rien d’évidents en dehors d’innovations techniques pour la santé par exemple, on comprend aisément que l’innovation sociale peut permettre d’apporter des réponses à des enjeux de société afin d’améliorer le bien-être des individus. Une simple application de partage de voiture, le masque decathlon détourné en appareil médical ou la mutation collective vers des valeurs plus environnementales par le biais de de posts, de vidéos, de clips et de slogans sur les réseaux sociaux sont autant de changements se situant au niveau social et modifiant notre quotidien vers un possible mieux vivre ensemble et donc vers un mieux-être.

Il est également possible d’imaginer comment le bien-être amène à l’innovation. Si l’on se penche maintenant sur l’individu, nombreux sont les travaux issus de la psychologie qui montrent les liens entre bien-être et créativité. A part une frange marginale de déprimés créatifs que l’on représente souvent sous la figure de l’artiste maudit, la situation au quotidien offre une image beaucoup plus réconfortante et nuancée. Toutes choses égales par ailleurs, les individus plus heureux sont plus créatifs, plus à même de résoudre des problèmes complexes et de collaborer en équipe.  Il est donc également possible de tisser des liens allant de bien-être vers créativité et innovation.

On pourrait enfin imaginer que l’innovation et le bien-être dépendent d’autres facteurs qui les influencent conjointement. Par exemple, j’ai montré ailleurs que le bonheur était inversement lié à la taille des écosystèmes dans lesquels les individus baignaient[2]. Que ce soit au niveau des pays, des entreprises ou des cercles sociaux dans lesquels nous évoluons, nous nous sentons davantage en mesure d’influencer notre parcours dans des systèmes plus petits. Lorsque la distance au point de décision diminue, nous sentons notre capacité d’engagement, notre agency augmenter et notre bonheur avec. Il est possible de faire un parallèle avec l’innovation. Si la grande invention vient peut-être de grandes entreprises, les microinnovations quotidiennes jaillissent davantage dans des environnements fluides, plus facile à atteindre dans des petits environnements comme les PME voire au sein de la société civile. Ces environnements servent de laboratoire d’expérimentation à des prototypes. Une fois crées, ils seront mis à l’échelle ailleurs.

Les liens entre innovation et bien-être commencent à être documentés dans la littérature. Toutefois, nous ignorons les mécanismes et les chaines de causalité qui les lient. Alors, le bonheur, un facteur nous décentrant et nous permettant de penser « outside the box » ou est-ce qu’être à côté de la boite est source de bien-être ? Affaire à suivre.

 

Article rédigé par Gaël Brulé – Gaël Brulé est ingénieur et sociologue. Il est actuellement chercheur à l’université de Genève en Suisse et de Rotterdam aux Pays Bas. Il est rédacteur en chef de la revue Sciences & Bonheur.

[1] Liu, J. and Munier, F. (2019), “Innovation and Entrepreneurs’ Subjective Well-being The mediation effect of job satisfaction and satisfaction with work-life balance”, Working Paper BETA #2019-42

[1] Étude dans le cadre du rapport « Recherche et innovation en Suisse 2020 » Partie C, étude 2. Hugues Jeannerat, Olivier Crevoisier, Gaël Brulé, Christian Suter

[2] Gaël Brulé, Le bonheur n’est pas là où vous le pensez, Dunod, 2018

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